Interview : « L’histoire de Pannir a le potentiel de faire changer la vision du grand public. »


15 février 2022

Rencontre avec la star Santesh Kumar, et Angelia, la sœur de Pannir Selvam Pranthaman, ressortissant malaisien condamné à la peine capitale à Singapour.

En 2020, ECPM a soutenu la campagne Sauvez Pannir, afin de faire commuer la peine de Pannir Selvam, condamné à mort à Singapour pour trafic de stupéfiants. Depuis son lieu d’incarcération, il écrit des chansons. Touché par cette affaire, le talentueux Santesh Kumar, icône de la Pop en Malaisie, a repris les textes de Pannir pour les mettre en chanson : c’est ainsi qu’est né leur premier Single Arah Tuju, sorti en avril 2021.

Pouvez-vous nous expliquer comment est née la campagne #SavePannir ? Comment ECPM a-t-elle rejoint le projet ?

Angelia : Avec notre famille, nous avons lancé la campagne « Sauvez Pannir » après qu’il ait bénéficié d’un sursis d’exécution. Tout a commencé avec une conférence de presse, le 5 juillet 2019. Nous avons demandé au public de se rendre sur le site internet que nous avions créé pour raconter l’histoire de Pannir, et de signer la pétition affiliée destinée à Halimah Yacob, la présidente de Singapour. Dans cette pétition, nous implorons sa grâce avec le soutien du grand public. ECPM a rejoint le projet en jouant un rôle majeur puisque l’association a en partie financé la campagne pour étendre son impact, et a proposé un concept différent ce qui nous a permis de toucher le grand public et de créer un mouvement auquel chacun.e peut s’identifier et prendre part.

Pannir Selvam Pranthaman

Pourquoi était-ce important pour vous de participer à ce projet ? Est-ce la première fois que vous vous engagez publiquement contre la peine de mort ?

Santesh : Il est très important pour moi de participer à cette campagne car je trouve que la peine de mort est cruelle, et inhumaine. Au sein de ma communauté, j’ai rencontré de nombreuses familles brisées : certaines personnes ont perdu leur père, leur frère, leur fils… Pour elles, le mal est fait, elles n’auront pas d’autre choix que de poursuivre leur vie sans leurs êtres chers. Tout ça doit s’arrêter, c’est pour cela que j’ai rejoint la campagne et décidé d’utiliser mon talent pour diffuser un message et demander plus de justice, en tant que citoyen malaisien.

En haut à gauche, Santesh, en bas, Angelia

Angelia, votre frère est dans le couloir de la mort depuis 2017. En 2019, il a échappé à son exécution programmée. Quelle est la situation pour lui aujourd’hui ? Comment vous et votre famille vivez-vous cette situation ?

Angelia : Tout d’abord, nous sommes vraiment reconnaissant.e.s qu’il ait bénéficié d’un sursis d’exécution, mais d’un autre côté, nous sommes vraiment ébranlés par la situation. Pannir devait être pendu le 24 mai 2019. Comme tous les matins, il priait grâce à son livre de prières quotidiennes : nous pensons que Dieu l’a sauvé. Il nous dit sans arrêt qu’il dissout ses craintes et ses frustrations grâce à la prière. Avant la pandémie, nous pouvions lui rendre visite régulièrement,

mais ce n’est plus le cas. À la place, nous recevons un appel de sa part tous les dimanches, au cours duquel toute la famille se réunit autour du téléphone pour lui parler. Il est dévasté, et fatigué de se battre pour sa vie en prison. Malgré tout, il assure qu’il continue de nourrir son esprit et d’écrire pour essayer d’être publié, dans le but de sensibiliser à la thématique de la peine de mort. Il lit et écrit beaucoup, et espère qu’il pourra respirer l’air frais de l’extérieur à nouveau un jour.

Pour ma famille et moi, tout ça représente beaucoup de temps et d’efforts. Nous contactons d’autres familles qui traversent une situation similaire, et nous essayons de les aider du mieux que nous pouvons.

 

Santesh, dans « Arah Tuju », vous chantez les mots écrits par Pannir : que raconte la chanson ? Quelles sont les valeurs que vous souhaitiez transmettre en chantant ces mots ?

Santesh : La chanson parle des bons et des choix que l’on fait dans la vie. Il y a toujours un bon et un mauvais choix, la décision du chemin que l’on emprunte nous appartient. Le bon chemin ne sera sans doute pas facile, mais le chemin facile rend nos cœurs aveugles. Ou plutôt, nous rend incapables d’entendre ce que notre cœur nous dicte. Le refrain de la chanson explique que la vie est comme un bateau sans ancre pour l’arrêter, sans voile pour la diriger. Il souligne aussi que les citoyen.ne.s d’une même nation doivent tous.tes faire leur part pour que la société change radicalement, pour le bien de tout le monde, et ce, indépendamment de leur âge, de leur origine ou de leur genre. Enfin, avec cette chanson, nous espérons aider les gens à identifier les bons et les mauvais choix sur le chemin de la vie, et leur apprendre à pardonner celles et ceux qui essaient de réparer leurs fautes. 

 

Depuis la sortie du single le 19 avril dernier, la vidéo a déjà été vue plus de 27 000 fois. Avez-vous déjà pu recueillir des réactions de la part de vos auditeurs ?

Santesh : La sortie du single a été un succès, nous sommes reconnaissant.e.s envers les médias qui ont couvert l’évènement. Nous avons reçu d’excellents retours, de nombreux compliments et beaucoup de soutien et d’encouragements à perpétuer le combat contre la peine de mort. La presse était surprise, et curieuse concernant la campagne : on m’a demandé plusieurs fois si ce mouvement impliquait des personnalités politiques. À ce jour, je n’ai encore reçu aucun commentaire de la part du gouvernement !

Presque la moitié des pays d’Asie appliquent encore aujourd’hui la peine de mort, alors que la tendance mondiale est plutôt à l’abolition (presque les ¾ des pays du monde sont abolitionnistes). La démarche de réaliser ce single est déjà une grande avancée pour sensibiliser le grand public à cette question. Selon vous, quels sont les défis à relever pour faire progresser la lutte abolitionniste dans votre pays, et plus généralement, en Asie ?

Angelia et Santesh : Le problème vient tout d’abord de la perception que l’on a de la peine de mort. Beaucoup pensent qu’elle dissuade les criminel.le.s, alors que dans les faits, on constate qu’il n’en n’est rien. Grâce à cette chanson et à celles qui sortiront prochainement, on espère changer la perception des gens sur la peine capitale. Le deuxième problème est la bureaucratie : parfois, l’envie de changer est présente, mais parvenir à opérer le changement souhaité est un chemin long et sinueux. La Malaisie a ratifié le moratoire de l’ONU en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort, ce qui montre que le gouvernement est enclin à mettre un terme à cette pratique, mais ils sont encore loin d’en faire une priorité. Nous devons inciter les membres du parlement à parler de ce problème pour aller plus loin dans le combat contre la peine de mort. Voilà les deux principales difficultés auxquelles nous sommes confronté.e.s en Malaisie.   

 

Aujourd’hui, comment pouvons-nous nous mobiliser pour aider Pannir ?
Avez-vous d’autres projets
pour poursuivre la lutte contre la peine de mort ?

Angelia : Nous voulons nous battre contre la peine de mort en général en Malaisie, car nous souhaitons devenir un exemple pour les autres gouvernements d’Asie du sud-est, surtout ceux des pays voisins comme Singapour, l’Indonésie ou le Myanmar. Nous sommes prêt.e.s à poursuivre le dialogue avec les médias et les autorités.

Santesh : Nous essayons d’interpeller chacun des 222 membres du parlement, pour savoir qui est en faveur de l’abolition, et qui ne l’est pas. S’ils y sont favorables, tant mieux, sinon, on exige qu’ils nous exposent leurs arguments.

 

« L'histoire de Pannir a le potentiel de faire changer la vision du grand public sur les condamné.e.s à mort ou les prisonniers et prisonnières. »

 

Angelia : Oui, voilà. Ces données seront collectées et répertoriées sur notre site internet. Notre but est de d’engager le débat au sein même des membres du parlement. En parallèle, nous essayons de faire publier le travail de Pannir, car son histoire a le potentiel de faire changer la vision du grand public sur les condamné.e.s à mort ou les prisonnièr.re.s. Il ne représente qu’une petite pièce du puzzle… Si d’autres personnes incarcérées sont douées d’un talent en particulier, nous souhaitons les aider à se faire connaître à leur tour.

Santesh : Le deuxième album devrait sortir en fin d’année, les chansons sont écrites par Pannir. Ce sont des chansons sentimentales, empreintes d’émotion, c’est la direction qu’on a souhaité donner à cet album. Le second single ne sera pas du rap ou de la pop cette fois-ci, ce sera une balade douce. Pannir est un musicien, artiste et chanteur talentueux, c’est un plaisir de l’aider lui et sa famille.

Angelia : Avant de terminer, je voulais dire un grand merci aux membres d’ECPM pour leur soutien dans cette campagne, sans lequel nous n’aurions pas pu aller aussi loin. Nous espérons pouvoir travailler ensemble à nouveau, car nous avons la même mission et partageons le même combat.

Le dernier single de Pannir Selvam, Bukan Sekadar Hikayat est sorti en septembre 2021 ! Cette fois, le texte est interprété par le rappeur malaisien engagé Saint T.F.C. Retrouvez-le sur votre plateforme d’écoute favorite !

 

Quelle est la situation actuelle de Pannir Selvam ? Le 26 novembre 2021, Pannir a perdu son dernier appel, sous prétexte que le Bureau central des stupéfiants (CNB) n'avait pas eu besoin des informations révélées par Pannir dans leur enquête. Pourtant, les faits montrent que ces informations ont été d'une utilité clé dans l'arrestation d'un citoyen de Singapour impliqué dans des réseaux de trafic de drogues. Malgré cela, le CNB a refusé de délivrer un certificat de coopération à Pannir, qui lui aurait permis de voir sa peine commuée en prison à vie. 

Aujourd'hui, seule la grâce présidentielle pourrait sauver Pannir. Pour l’aider, signez la pétition.